Deux avril dix-neuf cent quatre-vingt seize.
Lutin. Lutin c'est le nom de mon chien. Maman dit qu'il serait temps qu'il arrête de perdre ses poils. Moi je trouve ça drôle. J'aime bien glisser mes mains dans sa fourrure, et en ressortir d'épaisses poignées crasseuses. Parce que Lutin il aime la boue, comme moi. J'aime les nouvelles chaussures que m'achète maman, celles qu'elle m'offre fièrement. Oui, ma mère c'est quelqu'un de fière. Comme moi. je suis un mélange de Lutin et de ma maman. Parce qu'après avoir fait goûter la boue a mes sandales, oui, je suis vachement fière de les montrer a maman. Alors elle cri. C'est idiot. Et puis, y a Harry qu'arrive. Harry c'est mon grand frère. Et puis y a Jaime, mon petit frère. Ils ont l'air bêtes, dans leurs maillots de foot. Mais papa dit qu'un garçon doit passer par le football pour devenir un homme. Je suppose que moi faudra que je passe par la cuisine pour devenir une femme. Tant pis, je serais jamais une femme. Je serais un chien comme Lutin. Ou alors un poney. Alors harry, quand il arrive, bah il raconte. Les buts, le gardien de l'équipe adverse qu'était vachement doué ! Ou alors mon frère qu'est pas assez doué lui. Ouais parce qu'il est meilleur pour raconter des histoires Harry. Ou alors pour faire des dessins. Parce qu'Harry il dessine bien, ouais. C'est un peu un artiste, mais en mieux vu que c'est mon frère. Alors je m'assoie dans l'herbe, la tête de Lutin sur les genoux, et puis je cueille de l'herbe. Parce que si je deviens un poney, faudra que j'en mange de l'herbe. Et puis, je trouve ça important, l'herbe. Et puis les oiseaux aussi, ou alors les écureuils. Terry, Harry, vous venez goûter avec Jaime ? J'aime bien le goûter. Parce que souvent après le goûter, maman elle nous raconte des histoires.
Vingt-trois aout deux mille dix ; 10h34.
Assise a l'arrière de la voiture, mon jean au bout des pieds, je pousse un dernier soupir avant de le remonter jusqu'à la taille. J'ai jamais trop réussi a m'habiller à l'arrière des voitures. Alors Harry depuis le rétroviseur, je le vois sourire. Idiot. Je me moque pas de ta femme a toi. De l'espèce de balais qui te sert de nana. Parce qu'elle rigole pas, elle sourit pas non plus. Elle parle des produits de beauté qu'elle vend dans son salon. Miss beautée. Madame parfaite. Et puis mon frère. Mon Harry. Celui que j'aurais imaginé marié à une immigrée polonaise, histoire de lui offrir une jolie vie. Parce que mon frère est un prince. Prince Harry. Ah ah. Alors à l'arrière de la voiture, je me redresse pour enfiler mon tee-shirt. J'y peux pas grand chose moi, si les mariages ils tombent toujours aux mauvais moments. J'avais du boulot. Des papiers et des bouquins a ranger. Et puis une pause clope a caler entre deux bouquins. Tu vas y aller comme ça ? Princesse parfaite vient de tourner la tête vers moi, détaillant du regard le débardeur à rayures que je viens d'enfiler. Tiens, mets au moins ça, t'auras l'air un peu plus présentable. Traitresse ! Et le droit des femmes ? Et le droit des baleines sale sorcière ?! Parce que du bout de ses doigts parfaitement manucurés, elle me tend son rouge à lèvres. Rouge ketchup. Un truc comme ça. Alors d'un geste de la main, je refuse. Je tue pas les baleines moi. Je mange pas de viande non plus. Les oeufs, ça passe, mais seulement parce que le dimanche, maman insiste pour que j'ingère mon taux de protéines. Tu sais ce qui me tue Terry ? C'est que même comme ça, t'es jolie. Elle détourne le regard et fixe la route. Harry, je le vois bien, il sourit. Bah mince. C'est quoi ce truc ? Elle fait une indigestion de chocogrenouilles miss parfaite ? Et zut, je sais pas comment m'excuser. Il est chouette ton gilet. En fait non. J'aime pas la couleur. J'aime pas non plus les paillettes. Mais ça lui va bien, ça lui ressemble. Dans le fond, elle est pas méchante. Alors Harry il glisse la main autour de la sienne. Je déteste les mariages.
Vingt-trois aout deux mille dix ; 10h46.
Harry, faut faire demi tour, y a Jaime qu'a décidé de venir, faut aller le chercher a la gare. Le téléphone entre les doigts, je souris. Je souris parce que Jaime, petit Jaime va nous rejoindre. L'équipe de choc. Mes frères ces héros. Devant, sur le siège passager, madame Harry a retiré sa main de celle de mon frère pour pousser un soupir. Je sais bien qu'elle ça lui plait pas, de faire demi tour, et de dépenser encore de l'essence pour un Moriarty. D'abord, moi, et puis Jaime. Ca l'énerve comme ça l'énerve quand on se retrouve tous les trois pour les repas de famille. Parce qu'Harry parle pas beaucoup, mais Jaime, lui, il raconte toujours tout un tas d'histoires. Des voyages, des femmes, les photos qu'il fait. J'aime l'écouter parler. J'aime observer Harry l'écouter. Parce qu'ils ont toujours été proches. Comme deux frères. Deux gamins qui portaient les même couleurs sur leurs maillots de foot. Ils me font sourires. Alors là dans cette voiture, j'ai l'impression d'être une gamine, une enfant. Et puis Harry, je le vois qui sourit. Il est heureux. Il va le retrouver, son Jaime, notre Phileas Fogg. Alors il ralentit. Peut être un peu trop. Il ralentit, clignote a droite. Demi tour. Et puis y a la voiture qui se dessine trop vite sur la droite, la voix d'Henry, celle de sa femme, et puis le trou noir.
Quatorze janvier deux mille douze ; 14h01.
Assise sur le banc, je tourne la page avant de reprendre l'histoire. J'ignore si il m'entend. Le regard dans le vague, les mains agrippées aux poignées de son fauteuil, je sais même pas si il entend. Les médecins disent que oui. Ils disent que ça va l'aider a retrouver la mémoire, qu'il retrouvera son autonomie. Mais bordel, il retrouvera jamais rien Harry. Ca fait presque deux ans qu'il est là, cloué comme un légume. Et ça fait deux ans que je viens ici, m'asseoir sur le banc quand il fait beau, parce qu'Harry il aimait le soleil. Ouais, il aimait les oiseaux. Alors je termine ma page, et puis le livre, je le referme. J'ai l'impression de parler a un enfant, alors que les enfants, j'aime pas ça. Je raconte des contes pour enfants. Des contes de fées, comme ceux qu'il me lisait quand j'étais gamine. Allez Harry, écoutes moi ! Allez Harry, réveilles toi. Parce que parfois, quand j'arrive ici, je me surprends a espérer qu'en rentrant dans sa chambre, il m’accueillera en souriant, et puis qu'il me prendra dans son bras. Lui, Harry, mon héro. Alors je me lève, le bouquin posé sur les genoux de mon épouvantail de frère. Je déteste pousser ce fauteuil. Je déteste ces vieux qui déambulent dans les allées. Je déteste ces femmes en blouses blanches qui s'approchent pour demander si tout va bien. Allez Harry, on s'arrache. Tout s'est bien passé ? Sourire forcé. Pourriture. Je déteste les infirmières. Elles se donnent toutes le mot pour voler mon frère. Mais c'est le mien. Seulement le mien a présent. Mon Harry. Alors quand elle récupère le fauteuil et s'éloigne, je laisse mes doigts glisser jusqu'à la cicatrice sur mon front. Il ne comprend plus, il n'écoute plus, et moi je continue de sauver les baleines.
Quatorze janvier deux mille douze ; 14h33.
La porte de la voiture ouverte, je me laisse tomber contre le siège conducteur avant de glisser entre les lèvres une de ces cigarettes a la con. Je n'étais promis d'arrêter avant l'accident. Encore une promesse en l'air. Alors dans l'habitacle de la voiture, la musique se propage, je ferme les yeux. Je devrais me sentir terrorisée, et pourtant, là, dans la voiture, je me sent en sécurité. Tu pars ? Mes yeux s'ouvrent, il est là et sourit. Dans sa blouse blanche, les stylos dans la poche, Robb c'est le parfait stéréotype du médecin. Alors il se penche vers moi, pose ses lèvres contre mes lèvres. c'est doux, c'est bon. Alors a mon tour, je souris. Robb, c'est quelqu'un de gentil. Un type avec lequel je me marierais jamais. Parce que le mariage c'est pour les cons. Et que Robb, ouais, je l'aime bien, mais pas trop souvent. Il passe seulement le mardi soir après le boulot. C'est souvent tard, mais je l'attend. Je lis et puis j'attends. Pourtant quand il pose ses lèvres sur les miennes, je suis soulagée. je ne suis plus seule. Parce que Jaime voyage, et que quand il passe, c'est toujours pour trop peu de temps. Et parce que les autres, j'ai jamais su m'approcher d'eux. Robb, c'est différent. C'est lui qui est venu. Lui qu'à proposé qu'on se voit, qu'a proposé de m'aider. Je passe te voir demain. D'ici là, il ne me manquera pas, parce que je l'aime pas, nan. J'aime seulement pas me retrouver seule. |
chap. 1 |